Clément Gouverneur, né en 1852, est l’inventeur du procédé de fabrication de « branches crochet cordé », sorte de système à ressort sans cesse perfectionné par lui-même et modernisé par sa descendance. L’entreprise est fondée en 1878. Elle fabrique des pince-nez sans soudure. L’aïeul est un très bon mécanicien, un novateur, et les descendants disposent certainement d’un sens inné de la création.
Autrefois, tous les membres de la famille torsadaient le fil sous les combles de la maison, installée depuis l’origine au n°66 rue de la République. Et le fondateur avait dessiné les plans de son usine en conséquence : aux étages les « demoiselles », plus bas les besognes moins confidentielles. De nos jours encore, une veille machine d’un autre âge garde un secret jalousement entretenu par les opérateurs qui les servaient.
Clément construit son usine en 1878. A l’arrivée de son gendre en 1905, la société change de dénomination. « Gouverneur Audigier » fabrique depuis 1907 des lunettes et des pince-nez mécaniques, des lunettes à « grillages mobiles » et des drageoires (cercle réalisé en fil drageoir en forme de Vé). L’entreprise pratique le polissage et le nickelage soignés, exigés par une clientèle déjà très avertie et exigeante. En 1914, les événements obligent les dirigeants à se diversifier. Ils tordent et vrillent tout ce qui s’apparente à du fil en hélice, comme les agrafes pour corsets, les barrettes à cheveux et les « rugueux », sorte d’écouvillon pour enflammer l’étoupille des canons.
Après la Grande Guerre, pendant laquelle l’usine pâtit du manque de débouchés, elle poursuit ses fabrications de pince-nez et de branches. Elle se lance cependant dans la confection complète des lunettes et le catalogue des années 1930 offre déjà une alléchante diversité : lunettes à « griffes » ou « glace », où le cercle brille par son absence, les modèles « imitation écaille » équipés de nez exotiques, mexicains ou américains, destinés aux joueurs de golf, élus et autres diplomates de la « haute société ». Les pince-nez sans soudure font partie de la collection. En témoignent les multiples balanciers et outils simples dits « blocs suisses », utilisés pour torturer le fil et lui imposer les doubles formes symétriques ovales sur lesquelles vient s’accrocher en souplesse le nez fixe ou mobile. La firme se distingue aussi par l’originalité de ses montures pliantes.
La réussite commerciale de la firme incite Camille, le fils de Clément Gouverneur, à construire un nouvel atelier le long de la Bienne. Entre 1945 et 1948, l’appartement du rez-de-chaussée du bâtiment principal cède la place au bureau directorial. Après l’engouement pour le plastique dans les années 50, la production de lunettes en métal reprend vers 1965. Les travaux à domicile sont néanmoins stoppés en 1970. Depuis cette date, de nouveaux équipements très performants remplacent les anciennes machines plantées au milieu des courroies, des poulies de transmission et des renvois sous les plafonds. Qu’il paraît lointain le temps où les machines à plier les nez, à former les cercles, à souder, de la « Sitar » à corder de la Belle Epoque, organisaient la ronde autour des presses à clavettes des Frères Bréguet de Genève, « Perla » de Richert-Laval de Besançon, « Champion » de Descours et Cabaud de Lyon.
Et que l’on ne s’y trompe pas. Dans un paysage lunetier très concurrentiel, la société Gouverneur Audigier résiste, grâce à la prudence des dirigeants et à l’avantage économique de disposer du même toit industriel depuis l’origine sans débourser un sou vaillant pour suivre la mode du « toujours plus grand » ! *
En 2017, Gouverneur Audigier reçoit le label « Entreprise du Patrimoine Vivant », marque de reconnaissance de l’Etat qui distingue les entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence.
Présente dans 28 pays, l’entreprise continue d’innover en conservant la ligne directrice édifiée par Clément Gouverneur en 1878 : souci du détail, qualité et élégance.